Cette année, pour la journée Mondiale des Droits de la femme, je voulais écrire un article qui ait du sens pour les femmes. Parce que non, le 8 mars n’est pas La journée de la Femme mais bien de ses Droits. En Europe, nous voyons les choses évoluer positivement par rapport à d’autres pays. Cependant, certains sujets restent tabous et parfois les droits acquis sont finalement pas si accessibles que ça en pratique. Dans cet article, je souhaitais aborder le droit d’avorter en Espagne, de son accès pour les femmes espagnoles et les françaises de l’étranger. Qu’en est-il pour elles ?
Pour ce thème j’ai donc réuni 2 témoignages de femme francophone vivant en Espagne. Elle nous raconte leur histoire concernant leur avortement. Et je les remercie chaleureusement pour avoir accepté de partager leurs histoires personnelles avec nous et pour montrer aussi cette réalité que l’on ne soupçonne pas.
Nous ferons un point en fin d’article sur les textes de loi à ce sujet.
Plus que jamais, nous devons continuer à avancer pour que nos droits soient entendus et respectés.
Avorter à Madrid, 2 histoires
Voici 2 histoires de femmes françaises vivant à Madrid qui ont acceptées de parler de leurs histoires et montrer aux autres femmes, la réalité d’un avortement en Espagne.
Histoire de N.
N. est une femme agée de 42 ans. Elle apprend sa grossesse non-volontaire à 5 semaines environs après un retard de règle. Nous ne nous attarderons pas sur le “pourquoi” elle souhaite avorter. C’est une décision personnelle et à ce jour, en 2024, nous sommes en droit de faire une IVG (interruption de grossesse volontaire), dans les délais impartis.
Nous sommes en 2018 lorsque N apprend sa grossesse. N’ayant aucune idée de la procédure, elle commence par se renseigner. À cette époque, elle possédait une couverture sociale privée espagnole car elle ne travaillait pas à ce moment-là.
Ne bénéficiant pas de la Sécurité sociale ni espagnole, ni française, elle a dû se rendre dans une clinique privée de Madrid. Le coût de l’intervention était donc à sa charge car son assurance santé ne prennait pas en charge de “type de prestation”.
Elle se rend à la clinique privée après une prise de rendez-vous. Cela se passe en déambulatoire. Elle explique que la prise en charge et rapide. On passe d’abord voir un médecin qui réalise une écho. On n’entend rien et le moniteur et tourné vers le médecin. Après plusieurs questions sur le dossier médical, N précise qu’elle souhaite une intervention instrumentale. C’est-à-dire qu’elle sera endormie et que le médecin procède à une aspiration au bloc.
Cette intervention se déroule à la chaine. On la place dans une pièce avec plusieurs lits, plusieurs femmes en attente de l’intervention. C’est l’angoisse, l’ambiance est affreuse, N me dit qu’elle en garde un souvenir horrible de ce moment avant de passer au bloc.
Une fois l’intervention effectuée, cela dure entre 10 et 20 min, totalement endormie, N se retrouve dans cette même pièce et se réveille tout doucement, tentant de prendre conscience de ce qui venait de se passer. Assez rapidement, on lui demande de se rhabiller et d’attendre dans une autre salle d’attente pour voir un autre médecin. Pas de le temps de comprendre se qu’il se passe, pas d’échange avec les infirmières qui s’affairent la logistique de femme qui vont et qui viennent du bloc.
Le dernier rendez-vous consistait à échanger avec un médecin pour faire de la prévention. Elle lui a demandé de prendre RDV avec sa gynécologue pour revoir son mode de contraception.
Cette intervention a duré quelques heures, pour un coût de 440€. Pas de prise en charge. N ne savait pas du tout comment avorter en Espagne. Elle a fait au plus vite, au plus “simple”.
Histoire de A
A est une jeune femme, de moins de 30 ans. Elle vit à Madrid depuis peu. Sa nouvelle vie à Madrid va rapidement tourner au cauchemar lorsqu’elle se rend compte via un retard de règle qu’il y a eu un problème avec sa pillule. A a un statut de micro-entrepreneure français, elle a suivi son conjoint à Madrid. Elle n’avait donc pas encore la Sécurité sociale espagnole à ce moment-là.
A ce moment-là, 2 solutions possibles pour elle : soit elle rentre en France pour avorter, soit elle avorte en Espagne. N’ayant pas la possibilité de rentrer en France, elle commence les démarches pour avorter à Madrid. N’ayant pas la Sécurité sociale en Espagne, elle doit donc se tourner vers une clinique privée. Elle opte pour une clinique différente de N.
Elle raconte le même parcours : un traitement à la chaine où l’on est qu’un numéro. Elle nous explique qu’elle souhaitait l’avortement par voie médicamenteuse, mais que le médecin lui en a dissuadé et qu’il fallait qu’elle fasse par voir instrumentale. Elle m’explique qu’elle était abasourdie par cette nouvelle et qu’elle n’était pas prête à subir une intervention médicale. D’autant plus que le coût est plus élévé. Rapidement après le RDV avec le médecin, elle passe dans cette chambre d’attente où elle dépose ses affaires dans un casier et on lui attribue un lit parmi les 3, les 2 autres sont occupés.
On vient la chercher, A est très angoissée, elle pleure car elle ne sait pas ce qui l’attendait et elle ne s’était pas préparée à ça. Tout est allé très vite, nous raconte-t-elle.
À son retour dans son lit, elle se sent désorientée et personne avec qui parler. Son petit copain devait attendre dehors. Elle peine à se réveiller et l’infirmière la secoue pour accélérer le processus . Elle doit se rhabiller, quelqu’un d’autre attend la place.
Elle prend une enveloppe qui était sur sa table de chevet, avec ses instructions pour les prochaines semaines. Elle passe par la case secrétariat pour payer son intervention. La facture sera de 470€. Elle tente de se faire rembourser par sa Sécurité sociale française (liée à son entreprise) mais au bout de 1,5 ans, le dossier est toujours en cours. Elle pense qu’elle ne sera pas remboursée malgré l’envoie des multiples documents.
Avorter en Espagne, un droit qui a un prix !
Ces 2 témoignages me laissent sans voix. Aussi bien par le traitement “à la chaine” que par la difficulté d’être prise en charge à l’étranger. Le droit à l’avortement est effectivement un droit mais à quel prix ? En tant que française habitant à l’étranger, on se rend compte que l’accès à l’avortement est beaucoup plus complexe. En revanche, il faut savoir que l’Espagne est un pays plus “laxiste” sur les règles de l’avortement par rapport à d’autre pays Européen. Et pour autant, ce n’est pas si simple.
Lire notre article sur le système de santé en Espagne
Le droit à l’avortement en Espagne
Avorter en Espagne : ce que dit la loi
Les femmes souhaitant pratiquer un IVG peuvent le faire depuis les années 2010 où la loi a été légalisée. Elles peuvent avorter en Espagne librement jusqu’à la 14e semaine de grossesse voir 22 semaines en cas de problème de malformation du foetus. Voici le texte de la Comunidad de Madrid.
Depuis 2022, le Parlement espagnol a également été plus loin dans l’application de la loi en l’étendant aux jeunes filles de 16 et 17 ans. Elles peuvent désormais avorter sans le consentement de leurs parents. Ce qui fait l’Espagne le 1ᵉʳ pays à proposer cette loi pour les femmes. Cette nouvelle loi supprime également le délai de réflexion de 3 jours obligatoire avant de pratiquer un avortement.
L’Espagne est donc pionnière en ce qui concerne l’avortement au sein de l’Union européenne. Il est gratuit et pris en charge par le gouvernement sous conditions.
Pour avoir une vision globale de l’accès à l’avortement dans le monde, vous pouvez consulter cet article de Info .
Dans les faits
Il faut savoir que selon la région, l’accès à l’avortement en Espagne n’est pas toujours facile. Elle ne possède peu de Clinique accréditée. J’ai poursuivi mes recherches en ce sens pour comprendre comment c’était possible.
Par exemple, dans la Région de la Rioja, il n’y a pas une seule clinique accréditée pour l’interruption de grossesse et dans les centres de santé publics. Elles ne sont pas pratiquées “parce que 100% des médecins sont des objecteurs de conscience” ! Donc les femmes doivent passer par le privé ou changer de région pour avorter !
Dans la Région de Castille et Leon, le problème d’accrédition des cliniques pose également un vrai problème d’accessibilité à l’avortement.
La dirigeante de la clinique de Buenavista à Léon explique :
Toutes les femmes de Castilla y León qui souhaitent avorter gratuitement sont orientées vers Valladolid, parfois même vers une autre communauté autonome. Si une femme de León souhaite avorter gratuitement à León, elle ne le peut pas . Vous pouvez venir à notre clinique, mais vous devez payer pour l’intervention car nous n’avons pas d’accord avec la Commission.
Emilia García
Selon une étude de Newtral, en 2021 pour laquelle des données sont disponibles montre que dans la Communauté valencienne, à Madrid et à Murcie, une femme sur trois a payé pour un avortement.
Heureusement, il y a des régions comme en Asturie où l’accès est plus facile où 92 % des femmes sont prises en charge gratuitement. Les 3 % restant sont les personnes qui ont des assurances privées, pas de carte de santé car elles viennent d’autres pays.
Ce qui est donc le cas de nos témoignages de N. et A.
Où avorter à Madrid ?
La question fondamentale que l’on se pose lorsque l’on veut faire une IVG à Madrid. Il y a donc comme évoqué plus haut 2 systèmes. Le système privé, où le coût de l’intervention est à votre charge, où le système “publique” où l’IVG sera prise en charge par les autorités espagnoles. On vous explique les 2 en détails.
Avorter dans une clinique privée à Madrid
Vous n’avez pas de Sécurité sociale espagnole ? Alors, vous devez avorter dans une clique privée. Il en existe plusieurs à Madrid. Bien sûr que cette liste n’est en aucun cas une recommandation. Certaines de ces cliniques sont accréditées par l’Etat pour pratiquer également les avortements de la sécurité sociale.
Vous devez les contacter directement pour obtenir des informations. Elles sont toutes agrémentées par l’état.
- Centro Clinico Ell Bosque
- Clinica Isadora
- Clinica Dator
- Clínica Ginecológica Callao
- Policlínica Retiro
- Clínica Ginecológica Sergine Médica
- Centro Médico Pacífico
Ces cliniques sont privées, le coût de l’intervention sera donc à votre charge sauf si vous avez l’assurance santé publique espagnole. Comptez entre 300 et 700 euros selon la semaine de gestation et le type d’intervention.
Avorter gratuitement à Madrid, quelle est la procédure ?
Le gouvernement parle d’un avortement libre et gratuit en Espagne, comment cela fonctionne-t-il et qui peut en bénéficier ?
Il faut savoir que certaines cliniques vous accompagne dans la gestion administrative de la prise en charge. Il n’a pas été simple de comprendre réellement quelles sont les démarches. Mais voici globalement comment ça fonctionne.
- Rendez-vous dans une clinique juridique accréditée pour démarrer les démarches. Là, l’état de la grossesse est évalué par échographie et les semaines de gestation sont calculées.
- Ensuite, un rendez-vous est pris à l’unité IVE du Service de Santé de la Communauté Autonome concernée pour accomplir les démarches de Sécurité Sociale. La femme doit se présenter au rendez-vous avec son DNI et sa carte de santé.
- Enfin retour à la clinique pour procéder à l’avortement.
Le processus est tout de même assez long, ce qui explique les chiffres cités plus hauts où les femmes finissent pas payer leur intervetion car elle ne peuvent pas se permettre d’attendre plusieurs jours pour réaliser toutes les procédures.
Lire notre article complémentaire : comment obtenir sa carte sanitaire ?
Avorter en tant que française de l’étranger, quelles solutions ?
Il faut savoir qu’un tiers des femmes françaises a recours à une IVG dans sa vie. Lorsqu’elles vivent à l’étranger, son accès est d’autant plus difficile dû aux législations du pays, par manque de moyen ou la barrière de la langue. Nous avons tout de même l’autorisation gouvernementale d’avorter en Espagne, ce qui n’est pas le cas d’autres françaises vivant dans certains états des Etats-Unis ou d’autres pays.
Le gouvernement français a mis en place un ” accompagnement “les françaises de l’étranger dans cette situation . Vous pouvez consulter un médecin français par téléconsultation où trouvez les praticiens ici la liste des médecins ici.
Il y a un recours possible en cas d’extremme gravité de la situation où un rapatriement peut-être engagé.
Que faire à moins de 9 semaines d’aménorrhée
Depuis février 2022, les françaises de l’étranger peuvent suivre le même parcours qu’en France pour une IVG médicamenteuse. Vous pouvez réaliser une téléconsultation avec un médecin ou une sage-femme. A la suite de ce rendez-vous le medecin envoie une prescripton à la pharmacie de votre choix . Vous trouverez la liste des médecins ici. Vous pouvez réaliser cette procédure si vous vivez en Europe. Si vous êtes hors zone Euro, vous devez vous faire envoyer les médicaments par transporteur.
Cette option est pris en charge par la sécurité sociale française si vous êtes encore affiliés ou si vous avez optés pour la CFE. Sinon, les frais seront à votre charge.
Si vous êtes en dehors de la zone euro, vous pouvez vous faire accompagner par des ONG tels que Women on Web, Aid Access, Women Help Women.
L’IVG à plus de 9 semaines d’aménorrhée
Passé le délai des 9 semaines, il n’est pas conseillé d’avorter par le système médicamenteux. Vous devez donc pratiquer une intervention. Il n’est pas précisé sur le site web des français de l’étranger, si l’intervention sera pris en charge par la sécurité sociale ou pas si vous y êtes affiliés.
Si vous avez des difficultés financières pour payer une clinique privée pour avorter en Espagne ou ailleurs, vous pouvez contactez l’ONG Abortion support Network pour vous accompagner.
J’ai réalisé une certain nombres de recherches sur le sujet. Il n’est pas toujours été facile de trouver les réponses. Si vous avez des informations supplémentaires à nous communiquer pour agrémenter cet article vous pouvez nous écrire par mail. Je vais également mettre à jour si des nouvelles mesures sont mises en place post inscription de l’IVG dans la constitution française.
L’objectif de cet article est de montrer la réalité de ces françaises, de ces femmes, de l’étranger ou non. Le débat n’est pas sur “pour”où “contre” l’avortement mais de son accessibilité. J’espère que ces quelques informations pourront aider certaines femmes dans leurs recherches.
Emilie